Les Chapeaux

• Et moi, je te dis que c’est une sorcière !
• Oh ? Et pourquoi Grand-mère serait-elle une sorcière, je te prie ?
• D’abord, ses chapeaux sont tous pointus et noirs et… ils parlent !
• Les chapeaux de Grand-mère parlent ?
• Tu ne les as jamais entendus peut-être ?
• Euh… je dois bien avouer que non.

Jean est perplexe, Noémie sa sœur est une enfant douce et rêveuse. Plutôt portée sur la contemplation, elle a une imagination débordante et c’est toujours réjouissant. Jean adore écouter ses histoires, de vrais contes de fées !

Pourtant cette fois-ci, elle dépasse « les bornes des limites » comme disent ses copains. Jean regarde sa sœur avec circonspection et sévérité.

• Voyons sœurette, ce n’est pas très courant d’entendre des chapeaux tenir une conversation entre-eux.

Noémie est rouge de colère !

• Tu ne me crois pas ! Je suis sûre que tu ne me crois pas !
• C’est-à-dire que…vois-tu, j’ai beaucoup de mal à philosopher avec un truc sur la tête de quelqu’un.

Jean a bien du mal à retenir un gros fou-rire. Il imagine sa Grand-mère échangeant des propos sur l’augmentation du prix du gaz avec ses chapeaux. Et de fait, l’image est plutôt cocasse.

• Ben, viens nigaud ! et si j’ai raison, tu ranges ma chambre jusqu’à la fin de l’année.

Mort de rire, Jean acquiesce. D’accord ma libellule, et je lave les vitres aussi !

Agacée, Noémie emmène son frère près de la chambre de Grand-mère. Doucement, sur la pointe des pieds, ils avancent comme deux voleurs.

Noémie pose son index sur sa bouche et fait signe à Jean de la suivre. Ils s’approchent en catimini et prêtent l’oreille.

Un bourdonnement émane de l’immense armoire ou leur aïeule range ses manteaux, chapeaux, écharpes et grosses chaussettes.

S’approchant davantage, les enfants entendent des sons plus nets et bientôt des paroles bien distinctes.

• De toutes façons, je vous l’avais bien dit, disait une voix chevrotante.
• Bien dit quoi ? demandait une voix plus grave.
• Que ces enfants finiraient par nous percer à jour !
• C’est de votre faute, à vous, les chapeaux, si Noémie nous a entendu ! Vous jacassez sans cesse et avez besoin de faire connaître vos pauvres opinions à la terre entière.

C’était couru d’avance !

• Ben voyons ! C’est forcément de notre faute ! Evidemment ! C’est facile de nous faire porter le chapeau.
• Ben théoriquement non !
• Pardon ?
• Faire porter le chapeau à un chapeau, ce n’est pas facile, facile, si je puis m’exprimer ainsi.
• Oh vous la chaussette, on ne vous a rien demandé !
• Dites-moi, nobles occupants de l’armoire, savez vous si d’autres humains que Noémie sont au courant de notre petite particularité ?
• Selon moi, Jean ne devrait pas tarder à en être informé.
• Ah… bien sûr, soupira le chapeau pointu en haut à gauche dans le fond de l’armoire.
• Bon à votre avis, on risque quoi ?
• Bah, tant que ce ne sont que des enfants, rien. Rien, tant qu’on puisse tenir sa langue devant les adultes. Attention, si une personne prétend que les chapeaux parlent, elle est considérée comme simplette ; Si quelques personnes disent la même chose, on parle d’hallucination collective. Par contre, si beaucoup de personnes en parlent on va se retrouver à griller dans le vieux poêle à charbon.
• C’est bien pour ça que je préfère le chauffage central, maugréait une grosse chaussette de laine bariolée.

• Bon puisqu’il le faut soupira un chapeau :

« Les enfants, que voulez-vous savoir ? allez… allez… ouvrez donc cette porte, puisque ça vous démange. »

Les enfants ont timidement entrouvert la porte de l’armoire, ils ont passé la tête à l’intérieur et ont trouvé l’ensemble des chapeaux, des chaussettes, des vestes et des manteaux en ordre de bataille, prêts à se sauver en cas de danger avéré.

Un chapeau imposant de part sa taille et sa couleur interroge, sentencieux : « Alors les enfants, que voulez-vous savoir ? »

• Euh… rouges de confusion, les enfants bredouillent. Puis Jean se ressaisissant le premier, demande « C’est Grand-mère qui vous a ensorcelés ?
• Ensorcelés ? En voilà un vilain mot. Ben elle nous a transformés de façon magique afin que nous puissions répondre à son appel lorsqu’elle a besoin de nous.
• Comme elle fait de longs trajets, seule, elle a aussi besoin de compagnie. Tout le monde est content.
• Donc Grand-mère est une sorcière ? jubile Noémie
• On peut dire ça. Elle s’y connait en plantes, simples, et remèdes. Elle adoucit la vie des gens et semble être d’une abnégation totale.
• C’est une sorcière absolument !
• Hum .. elle jette des sorts quelques fois ? s’inquiète Jean.
• Ben, oui…la preuve répond un béret égaré parmi les chapeaux pointus.
• Non, des méchants sorts, de ceux qui font du mal.
• Bah, à priori… pas que je sache. Pourquoi demandes-tu ça ?
• Si elle apprend que nous avons découvert qui elle est, peut-être sera-t-elle fâchée ? et quand on est fâché on commet parfois des actes malheureux.
• Ah…oui…ben non. Il n’y a aucun danger.
• « Je ne crois pas que ça me viendrait à l’idée, les enfants. »

C’est la douce voix de leur Grand-mère qui a prononcé cette dernière phrase. Les enfants se retournent d’un bloc. Grand-mère les regarde avec bienveillance.

• Noémie, ma tendre enfant, tu es vraiment très perspicace. C’est un bon état dans la vie, une grande qualité. Et toi, Jean, il me semble que tu as deux chambres à ranger et des vitres à laver jusqu’à la fin de l’année.

Jean sourit, Noémie est aux anges. Avoir une sorcière pour grand-mère c’est absolument fabuleux.

Comme ils s’apprêtent tous les deux à quitter sa chambre, Grand-mère ajoute avec un sourire taquin : « Vous allez commencer tous les deux votre apprentissage. Vous verrez, c’est gratifiant mais pas tous les jours facile d’être issus d’une famille de sorciers.

Interdits, les enfants se sont regardés : « Ah parce que papa et maman ?

• Mais bien sûr et vous aussi, mes p’tits loups !

Louise Desmons – mai 2023 – @copyrignt