La princesse de Courtevue avait un gros problème. Et quand je dis un gros problème, je pense surtout à un problème immense, incommensurable, incroyable, inclassable : son nez.
Lors de ses vertes années, la jeune fille avait un joli petit nez mutin. Et puis, comme ça, sans qu’on y prenne garde et surtout sans raison, mais alors sans raison aucune, son nez s’est mis à grandir. Il est d’abord devenu long, trèèèès long, puis il s’est élargi. Il est devenu imposant, puis immense. Il s’est mis à ressembler à un mât, puis à une très grosse branche. Et il grandissait, grandissait chaque jour davantage. Il était tellement long que la pauvre princesse se réveillait chaque matin avec un nouveau nid d’oiseau à son extrémité. On avait fini par installer un panneau « attention danger » à l’extrémité de son appendice pour le moins royal.
Et son nez grandissait, grandissait… Les oiseaux prirent l’habitude de s’y percher, ils virevoltaient, piaillaient d’importance. Ce qui rendait notre princesse folle de douleur. Elle vivait dans une cacophonie permanente, sans possibilité de repos. Elle avait beau secouer la tête, ces terribles bestioles s’envolaient pour se réinstaller peu après, pensez donc ! un perchoir de cette taille les enchantait !
Un truc pareil, c’est très handicapant. La pauvre, ne pouvait plus entrer dans certaines pièces du château, elle était obligée de dormir dans la chambre ayant une hauteur sous plafond digne d’une cathédrale. Elle dormait porte et fenêtres ouvertes… Un calvaire de chaque instant.
Les sujets de sa majesté, faisaient attention à ce qu’elle ne s’enrhume pas, une inondation gluante risquant de mettre en péril les gens, les bêtes et les récoltes. Tout le monde était sur le qui-vive, tout le monde, y compris les savants, chercheurs, magiciens, sorcières, fées et autres personnages de la société « cherchante ».
Un jour, ou plutôt une nuit, alors qu’elle dormait sur le côté, face à la porte d’entrée pour laisser son nez coloniser le couloir, elle le bloqua fort malencontreusement entre deux colonnes de la rampe d’escalier. Elle eût beau reculer, se pencher, essayer maintes postures plus acrobatiques les unes que les autres, rien n’y fit. Elle ne pouvait se libérer. Elle était nasalement..coincée.
Gênée, humiliée, elle dût se résoudre à appeler « au secours ». Devant la catastrophe, les meilleurs artisans du royaume furent dépêchés pour sauver la malheureuse. Tous vinrent à la rescousse pour sauver l’infortunée princesse. Alors qu’on avait détaché un très grand morceau de rampe, la jeune femme prise d’une crampe nasale fit un mouvement pour le moins malheureux puisqu’il envoya valdinguer les ouvriers à l’autre bout du royaume. Hélas, avec ce geste aussi involontaire qu’inconsidéré, la princesse avait engagé une bonne partie de son appendice dans la meurtrière du château.
Le roi s’en est alors mêlé. Non, il était hors de question d’abattre cette partie de mur du château ! vestiges de la gloire de ses ancêtres, répertorié au patrimoine de l’humanité par l’Unesco, non, non, et non, on ne touche pas ce mur.
Même pas pour libérer l’infortunée jeune femme. Et le nez grandissait. Il semblait avoir une vie propre et complétement indépendante.
Et le problème s’enlisait, il semblait insoluble. La princesse gémissait, les oiseaux se positionnaient et piaillaient, les artisans et ouvriers peinaient à rentrer (il faut dire qu’elle les avait envoyés loin, vraiment très loin) et le nez restait coincé.
C’est alors que de désespoir, la malheureuse s’est mise à pleurer. Elle pleurait, elle pleurait, sur elle, sur ses malheurs, sur son infortune, sa disgrâce, son impossible retour en arrière. Elle pleurait, laissant son chagrin se déverser dans le palais et bientôt sur la région et le pays entier. Elle pleurait et son nez coulait. Et la flaque s’est muée en ruisseau, le ruisseau en torrent emportant tout sur son passage. Une cascade dégringolait de son immense appendice.
L’état d’urgence fut décrété, qu’on appelle les maçons, qu’on appelle les pompiers, qu’on appelle les sorciers mais que cesse cette dévastation.
Le royaume tout entier s’est mis à l’œuvre, et on décréta qu’il fallait d’urgence s’attaquer au problème dès la racine. C’est-à-dire que le bûcheron aidé par quelques médecins allait s’attaquer à ce maudit fauteur de trouble. On informa la princesse de la décision royale. Ce qui la fit pleurer davantage mais de rage cette fois-ci. Suite à cette décision, qu’elle contestait, elle a séché ses larmes et s’est mis à secouer la tête. Doucement d’abord, puis de plus en plus vite, de plus en plus fort. Tellement fort, que le vent s’est fait tornade arrachant tout sur son passage.
Tout, le mur du château, et…l’immonde fauteur de troubles.
La princesse pour assommée qu’elle fut, repris connaissance, son nez pendait lamentablement au milieu de son visage tuméfié. Il avait perdu une grande partie de son importance mais il pendait désormais lamentablement au milieu de sa figure comme un vieux mât après la tempête. Un vrai champ de ruines.
Notre princesse ressemblait à un rescapé de la grande guerre. Des spécialistes furent convoqués, des opérations furent tentées, mais rien à faire cette partie du visage de la princesse n’en faisait qu’à sa tête. Tantôt pointu, tantôt crochu, tantôt minuscule, tantôt imposant. Bref, son pif était un gros tarin difforme.
Jusqu’au jour où sagesse ou résignation, la jeune femme lui dit : fais ce que tu veux, t’es moche, t’es gros, t’es imposant, je m’en fous.
C’est alors que le facétieux tarin décida de redevenir normal. Il a repris sa forme initiale et a cessé de tourmenter cette pauvre fille. Mais pourquoi donc s’était-il révolté ? pourquoi donc l’avait-il tourmentée ? Personne ne l’a jamais su. La princesse peut-être mais elle n’a jamais souhaité en parler…
Louise Desmons – Août 2022
Encore une belle histoire de Louise Il y a de la richesse de vocabulaire et toujours cette petite note de fantastique ,l’invraisemblable semble crédible ,un vrai conte quoi Bravo Louise
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