
C’était à n’en point douter la sorcière la plus stupide, la plus imbue de sa personne de tout le sabbat.
Petite, grassouillette, elle laissait ses cheveux roux filasses à l’abandon sur son crâne en pain de sucre.
Non, elle n’était pas laide, belle ? faut pas pousser. Non, elle était juste insignifiante mais avec intensité. Sa longue robe noire toujours plus près de son corps à mesure que ses bourrelets s’intensifiaient, lui donnait l’air d’un chaudron resté trop longtemps sur le feu.
Elle se dandinait plus qu’elle ne marchait. Bref, elle était banale à souhait mais dotée d’une telle suffisance qu’elle laissait sur son passage comme un parfum d’exaspération, une sensation de grosse fatigue et une grosse envie de ne plus la voir.
Elle s’appelait MoiJe et c’était assurément la terreur du sabbat. Satan avait pensé un temps à l’intégrer dans son équipe de tourmenteurs sadiques mais, même lui, avait pensé que la punition avait ses limites.
Donc, on la fuyait.
Du coup, elle était convaincue d’être la meilleure et claironnait à qui voulait l’entendre sa supériorité maléfique.
Tant et si bien, qu’elle finit par agacer, et pas seulement Satan et sa cohorte de sorcières, incubes, succubes, diablotins et j’en passe. Non, elle agaçait aussi le camp adverse.
Du coup, un beau jour ou peut-être une nuit, les boss se sont rencontrés en communication de crise :
- Bon, tu me la prends la petite dinde ? disait Satan
- Hors de question, c’est ta création, moi je ne prends pas cette chose bouffie d’orgueil et de suffisance dans mon équipe. Tu te la gardes !
- Oh, non mais, tu ne crois pas que j’ai assez de tarés à gérer sans m’encombrer de…ça.
- Bah, elle n’est pas violente.
- Pas besoin, elle se pointe, se dandine comme une oie et ouvre la bouche. Et là, tu regrettes de ne pas être en heures sup’ dans un champ de lave.
- Certes, mais sans vouloir te nuire, je te rappelle qu’une âme n’a pas de terminaisons nerveuses.
- Et ?
- Le feu, les hurlements, la douleur éternelle, tout ça… c’est du folklore pour ne pas mourir d’ennui.
- Pourquoi ? On se marre chez toi ?
- Ça revient moins cher.
- Radin !
- Comédien !
- Bon, ça va, au lieu de s’embrouiller on ferait mieux de trouver une solution pour Moije la bien nommée.
- Hummm… une forêt enchantée dont elle serait la gardienne ?
- Déjà essayé.
- Et ?
- Les arbres se sont tirés.
- Ah… et dans le désert ?
- Oui , l’idée serait de la transformer en dragon.
- C’est vrai qu’elle a du potentiel.
- J’ai un tas d’or dans une grotte, protégée par un désert presque sans oasis, plein de scorpions. Je me souviens, j’ai asséché une mer pour le créer.
- Bon c’est une idée géniale ! de plus c’est assurément La solution. Maintenant, on fait comment ? Il faut la convoquer pour qu’elle s’explique.
- Qu’elle s’explique de quoi ?
- Bon quand même, si on la sanctionne c’est parce que….
- Rien du tout, en enfer, tu peux t’en prendre une juste parce que t’es là et que je m’ennuie.
- Pas chez moi ! Au Paradis, je suis équitable.
- Eh, éh, tu comprends maintenant pourquoi tu es en train de perdre la partie ?
- Mais…
- Mais quoi ? tu es prêt à l’écouter pérorer pendant des heures sur sa géniale personne ? hein ? Ben moi non plus !
- Je la transforme, je la colle sur un tas d’or, je lui ordonne de le protéger et de m’envoyer tous les cupides qui se pointeront.
- Remarque, dès qu’elle aura ouvert la bouche je suis sûr de ne pas manquer de candidats.
- Au fait, pourquoi tu la transformes ?
- Le climat, et tant qu’à avoir des rondeurs autant qu’elles ne soient pas emprisonnées dans ce truc noirâtre qu’elle ose appeler une robe.
- Allez, on fait comme ça !
- Bah, ça ne coûte rien d’essayer !
Lucifer la surprise dans son sommeil, elle s’est retrouvée couchée sur un tas d’or, Lulu le Terrible lui a intimé l’ordre d’en être la gardienne. Puis s’en est allé avec l’impression étrange d’oublier quelque chose…
Et c’est ainsi que naquit la légende de la sorcière aux doigts d’or.
Mais ça, c’est une autre histoire…
Louise Desmons – Août 2021