
Il était étendu sous un arbre centenaire. La bataille avait été rude. Les coups assénés avec férocité et
désespoir par des guerriers aguerris l’avaient meurtri et épuisé.
Après la bataille, il s’était effondré sous cet arbre à moitié brûlé, il s’était endormi au milieu des cadavres dans un paysage de désolation. On entendait ici et là, des gémissements, des appels à l’aide, des cris de douleur, certains appelaient leur mère.
Les détrousseurs de cadavres étaient déjà à l’œuvre, les corbeaux et les vautours aussi.
Il avait soif, aussi s’est-il levé à grand peine, il a pris le chemin qui le mènerait à la source repérée avant la bataille. C’était si proche, c’était si loin…
Alors, il a marché. Difficilement d’abord, puis de plus en plus aisément. Il a marché…
Assise près de la source, il entrevoit une silhouette. De loin, il sait que c’est une très belle femme. Il s’approche davantage, chaque pas l’ensorcelle. Cette femme est la beauté, l’élégance, la volupté, l’amour personnifiées. Son profil gracile est léger, pur comme de la porcelaine. Ses épais cheveux fauves se déversent en boucles folles sur son épaule couvrant un sein presque juvénile. Un bras d’albâtre posé négligemment sur une jambe magnifique au galbe parfait complète un corps de rêve qui semble attendre et espérer.
Le brave soldat court maintenant, amoureux comme jamais. Son vœu le plus cher est de la serrer contre lui, de la prendre dans ses bras, de s’endormir et de se réveiller à ses côtés, de ne plus jamais la quitter.
Il s’approche encore, il est tout près maintenant. Il hésite comme un adolescent, osera-t-il l’aborder ?
Ce n’est pas une femme, c’est forcément une fée. Il s’approche, près, tout près.
Elle a senti sa présence.
Alors, lentement, doucement, elle a tourné la tête.
Son autre profil est décharné, grouillant d’insectes. Son orbite énucléée abrite une colonie de vers qui de par leur ballet incessant forment une cascade macabre et mortifère sur les os mis à nu.
Elle était à moitié femme, à moitié mort, elle était HEL Dieu de la mort, Reine des enfers. La bataille lui avait plu. L’odeur du sang et de la mort l’avaient invitée.
Elle était là pour lui, pour eux, pour tous ces hommes jeunes et vieux venus lui offrir leur vie en ce jour funeste.
Terrorisé et fasciné, il n’a pu s’empêcher d’avancer vers elle. Il a été englouti en un instant.
Ce soir-là, ce fut banquet aux enfers !