C’était un petit village près de l’eau. La pêche était bonne, le soleil généreux, les noix de coco et le gibier abondants.
Tout allait pour le mieux, les gens étaient confiants et heureux.
Pourtant, c’est toujours dans un ciel serein que se déchaînent les pires orages.
Un jour, alors qu’il allait à la chasse, le Grand Chef Mamadou fit une très mauvaise chute. Après des jours et des jours de coma, il a ouvert les yeux. Son épouse et le sorcier de la tribu étaient là, guettant son réveil.
- Grand Chef, quel bonheur de vous voir revenu des limbes pour nous éclairer de votre sagesse s’est réjoui le sorcier.
- Quel bonheur de te voir revenir à la vie, mon cher époux.
Quand Mamadou, le Grand Chef voulut s’asseoir et se lever, force lui a été de constater qu’il avait perdu l’usage de ses jambes.
En larmes, il s’est écrié : « Un Chef sans jambes, contraint aux béquilles n’est pas un chef…qui accepterait cela ?? »
Ada son épouse, lève les bras au ciel et lui dit en substance : « Ordonne donc à ton peuple de porter des béquilles. Tous et toutes, les jeunes comme les vieux, les enfants aussi, et tout le monde continuera à te respecter. »
Ainsi fut fait.
Au fil du temps, les gens se sont habitués, la contrainte est devenue accessoire de mode, puis de distinction sociale. Il y avait les très riches béquilles sculptées, les béquilles en bois nobles, les béquilles plus modestes, et les béquilles en bois récupéré, moins jolies mais plus écolos. Et le temps a passé, Mamadou le Grand chef était parti depuis longtemps jouer du tam-tam sur les nuages avec ses ancêtres, lui, ainsi que tous ceux qui avaient connu la vie d’avant et qui connaissaient l’histoire.
De génération en génération, tout le monde portait des béquilles et ce dès le plus jeune âge. Il ne serait venu à l’idée de personne de ne pas les utiliser.
Lorsqu’un jour, deux étrangers sont arrivés au village. Deux solides gaillards qui portaient chacun un lourd sac-à-dos, et qui marchaient d’un bon pas. Le village entier s’est arrêté, tous ont regardé ces deux inconnus, tous se posaient la question…Comment font-ils ? et par quelle magie est-ce possible ?
On s’est approché, on a observé ces drôles de paroissiens qui marchaient sans béquilles et sans tomber…
Les deux touristes étaient de leur côtés fort surpris par ce village peuplé en son entier par des handicapés. Quel virus ? quelle maladie les avaient donc frappés ?
Un soir, près du feu, l’un d’eux a sorti un petit appareil qui s’est mis à faire de la musique. Puis, les deux gaillards se sont mis à danser. Une fois la surprise passée, les villageois les ont conspués. Qu’elle est donc cette sorcellerie ? quel pacte avec le diable êtes-vous en train de passer ?
Et les villageois ont ramassé des pierres, les ont jetées sur les deux touristes qui effrayés ont détalé en courant se mettre à l’abris de cette soudaine et surprenante lapidation.
Les villageois apeurés, diminués par des générations de soumission à une pratique absurde ne purent pas les suivre. Maugréant, pestant, médisant, conspuant ces mœurs étranges et indécentes des étrangers impies, le village s’est de nouveau replié sur lui-même.
Ce village n’était plus heureux depuis fort longtemps, les béquilles interdisaient tellement de choses…
Cette histoire pour te dire, qu’accepter et se soumettre sans réfléchir conduit à bien des malheurs. Petit, avant d’accepter des béquilles, n’oublie pas qu’il est bon de marcher, de sauter, de courir. Et puisque tes jambes fonctionnent, tu peux fuir les idées stupides et aliénantes des voleurs de rêves.