Louison & Pervenche

 

 

Assises sur l’une des branches basses d’un vieux chêne, Louison et Pervenche regardaient leurs corps étendus sur le sentier.

« – Tu sais, toi, quand ils risquent de retrouver nos cadavres ? »

« – Louison, ma Chérie, je n’en sais pas plus que toi. Vois-tu, c’est la première fois que je meurs. »

« Au fait, maintenant que tu en parles, on est mortes de quoi au juste ?

  • Je suppose que c’est de l’ingurgitation massive de ces baies si belles qu’elles ne pouvaient être que bonnes ?
  • Ah oui, une de nos idées innovantes et ô combien pertinentes…
  • Bon, si on est mortes, où donc est cette lumière blanche qui nous guide vers un tunnel de quiétude où nos êtres aimés déjà disparus nous accueillent avec bonté ???
  • Ben… pas là visiblement.
  • La publicité est très surfaite…
  • Je te rejoins là-dessus.
  • On bouge ?
  • Ok »

Les deux sœurs se mettent en route, elles arrivent rapidement au bourg où elles habitent, habitaient est le mot juste, avec leurs parents. Arrivées à l’orée du village, elles rencontrent un très vieil homme et quelques personnes récemment décédées.

Après les salutations d’usage, chacun s’enquiert de sa situation. La seule vraie question étant « il se passe quoi maintenant ?? ».

Le vieux Monsieur était notaire, il s’appelait  Henri Létude, il était mort le matin même d’une embolie pulmonaire, Madame Gisèle Rosepourpre venait de partir à 103 ans d’un excès de vie, les autres les avaient rejoints dans des accidents de la route, des cancers, sidas et autres possibilités.

Bref, tout ce beau monde s’interrogeait : Elle est où la lumière ? et le tunnel, il s’ouvre quand ?.

On fait quoi en attendant ?

Monsieur Henri avouait une nette préférence pour le côté vampire, Madame Gisèle trouvait un certain charme aux fantômes, quelques-uns se voyaient bien en zombies. Oui, les choses et les êtres s’organisaient.

 

Louison et Pervenche par contre, n’aimaient pas les choses telles qu’elles se présentaient. Elles avaient coutume de n’en faire qu’à leur tête et de suivre toutes, mais absolument toutes leurs impressions, intuitions, idées aussi farfelues qu’elles puissent être.

La grande Faucheuse est bien passée pour leur trépas alors, c’est quoi ce service après-vente au rabais ? Elle s’imagine qu’on va faire le boulot à sa place ?

D’ailleurs, logiquement, on devrait avoir un sablier représentant nos vies écoulées. On devrait la voir sur son cheval blanc, nous regarder et nous indiquer la voie à prendre… Elle est où ?

Il commençait à y avoir un attroupement de jeunes morts ou de morts récentes dans la rue principale du village. Chacun y allait de son commentaire sur l’insuffisance des services publics qui n’étaient pas à la hauteur. Bref, la colère et l’impatience montaient. Monsieur Henri et Madame Gisèle proposaient une réorientation : Qui pour les vampires ?, qui pour les fantômes ? mais tout ça ne répondait pas à la question : est-ce que Mortimer existe ou est ce qu’on est livré à nous-même une fois trépassé ?

Afin de se donner une occupation, la petite troupe se décide à se rendre jusqu’au cimetière, ils y entrent et squattent les lieux. La nuit tombant, les stèles se soulèvent, et les vieux morts sortent se dégourdir les jambes.

Le moins qu’on puisse dire c’est que l’accueil fût froid, glacial est le terme le plus approprié. Le major du cimetière aborde la question de l’occupation par ces émigrants de seconde zone. En résumé, vous êtes qui ? vous faites quoi ? et quand est-ce que vous foutez le camp.

Les jeunes morts à leur tour expliquent la raison de leur errance.

Quoi ?? Mortimer ne vous a pas emmené ? Il n’était pas là ? M’enfin…Il est où donc ? Logiquement vous avez dû trouver le tunnel, suivre la lumière et tout le toutim…

Pervenche s’approche. Je ne pense pas que ce soit le cas. Il est peut-être …mort ?

La mort est mort ?? vous vous rendez compte jeune fille de l’ineptie de vos propos ? Vous étiez peut-être déjà stupide de votre vivant, je vois que les choses ne se sont pas arrangées.

  • Oh ça va vous, s’il n’est pas mort, il est où ? et pourquoi on zone tous ?
  • Oh, je pense que la rumeur doit être exacte.
  • Quelle rumeur ?
  • Mortimer serait parti en cure pour se sortir d’une méchante dépression. Aussi, paraît-il, personne ne vient plus faire le ramassage quotidien des âmes retournées au néant.
  • Euh donc ? on fait quoi ?
  • Ben, jusqu’à ce qu’il y ait trop de monde, on attend. Mais je sais qu’il est question de prendre un intérimaire.
  • Sérieux ? vous êtes sérieux ???
  • Notre néant dépend d’un intérimaire ??

Henri et Gisèle n’en reviennent pas, une rumeur désapprobatrice court dans le cimetière. Des « c’est pas sérieux », « aucune conscience professionnelle » commencent même à se faire entendre. Mourir c’est du sérieux, surtout qu’on ne peut pas recommencer sa sortie. Il faut quand même un minimum d’accueil. Et une organisation sans faille.

Donc, vous nous dites cher monsieur que la mort est en vacances ? comme ça sans avoir prévu quoi que ce soit ? c’est un scandale, voilà ce que je dis moi !! un scandale. Qui s’occupe des réclamations ici ?

  • Mon cher ami, vous êtes encore trop vivant dans votre mort. Pas de réclamation, pas de service après-vente. Même si je vous l’accorde la situation est totalement inédite.

Louison et Pervenche sans se concerter, se dirigent vers la sortie. Arrivées sur la route, elles cherchent un arbre sur lequel se percher.

  • Pervenche, tu penses comme moi ?
  • Tu penses qu’on ferait des intérimaires trop top ?
  • Oui m’dame, et puis je sens que c’est la chance de notre mort !
  • On fait comment ?
  • Les cavaliers de l’apocalypse ?
  • On les trouve où ?
  • On demande aux vieux ?
  • Bizarre quand même d’entrer dans un cimetière en disant « place aux jeunes »
  • Trop drôle !!
  • On y va, on demande : c’est parti ! je suppose qu’il ne faut pas de diplôme ?
  • Andouille !

Renseignements pris, les deux complices s’en sont allées postuler auprès des trois cavaliers de l’apocalypse encore vaillants.

Surpris par cette démarche pour le moins incongrue, les cavaliers qui sont quand même des fléaux pragmatiques, y voient une solution économique de renouveler la profession.

Les deux donzelles firent merveilles dans cette tâche et l’on raconte qu’elles furent tant appréciées qu’elles chevauchent désormais aux côtés de quatre cavaliers de l’apocalypse, la Mort ayant réintégré ses fonctions de peur d’être supplantée par la nouvelle génération…