LE GIGOLO
Dieu qu’elle m’énerve !
Elle est là, devant moi. Elle m’expose son problème du moment, quelque chose du genre : « Il se moque de moi, me gruge, me pompe le compte en banque, ne prétend pas aller bosser, que faire ? ».
Mais qu’elle m’énerve !
Voilà trois ans qu’ils s’aiment. Ah, les jours heureux !
Avant, il « assurait », il trouvait régulièrement des petits boulots, des trucs qui ramenaient du blé au moulin.
Maintenant, tel un mollusque, il passe sa vie à écouter de la musique, joint au bec, cul vissé au fauteuil. Prônant à qui veut bien entendre des discours fumeux sur sa liberté.
Musicien de génie (selon lui), il hait le show-biz et clame que tous ceux qui ont réussi sont des produits marketing. Que lui seul et peut-être ses semblables sont des gens intègres dignes d’être entendus.
Bref des tonnes de salive dépensées dans l’unique but de justifier son attitude parasitaire, car notre gigolo est un rebelle (mais oui, ma brave dame). Notre gigolo est un produit de la révolte, un vrai, un pur et dur, un gigolo qui s’exclame : « Je n’ai rien à me reprocher, elle le savait avant, je lui ai toujours dit que ma liberté était à ce prix ! ».
C’est vrai que pour qu’il se mette à travailler, il faudrait qu’il lui pousse deux bras supplémentaires, comme quoi, c’est pas gagné !
En attendant, il palabre. Contre tout ce qui n’est pas Lui, sa vie, son œuvre. Tu aimes ? Il déteste, tu n’as rien compris, tu t’es fait avoir.
Moins que sa compagne qui elle fait un nombre d’heures incroyables, se tape 140 km par jour pour ramener de l’argent et permettre à notre révolté de continuer sa quête de liberté. Elle, elle a la tête farcie d’agios dus aux découverts que le Monsieur provoque. Elle rentre le soir, harassée par une journée trop remplie de problèmes, de courses folles contre la montre, de responsabilités écrasantes. Tout ce dont il ne veut pas entendre parler. Il ne veut pas les vivre même par procuration. « Tes problèmes ne doivent pas empiéter sur notre couple, entacher notre belle histoire d’amour ». (Chacun sa merde en sous-entendu dans le texte).
Aussi, le soir venu, rentre-t-elle sagement dans ce superbe 150 m² qu’ils occupent et dont elle paie le loyer, prépare-t-elle le repas qu’ils mangeront tous les deux mais dont il n’a pas eu le temps ni le courage de s’occuper, ne dit pas un mot sur ce qui l’angoisse au point de voir se poindre un début d’ulcère, puis va se coucher crevée et seule puisque lui, l’homme libre met le cap sur télé jusqu’à pas d’heure. Demain, elle se lèvera seule, en silence pour ne pas réveiller notre révolté abruti par le prêt à penser quotidien. Puis, elle partira bosser pour la retraite, la sécu, la sécurité du quotidien, pour s’affirmer et j’allais oublier : Pour sauver l’Homme de toute chaîne, de toute entrave.
Il a le regard obtus, le discours dur, une vision intéressante de sa réalité. Lui n’a besoin de rien pour vivre. Avant, il
vivait avec très peu. Il n’a pas besoin d’argent, cette vie confortable c’est elle qui l’a voulue, qu’elle assume donc !
Très peu ce n’est pas rien bonhomme. Maintenant si tu le veux on peut faire les comptes.
Prix du loyer, de la bouffe (tu avales deux gros morceaux de viande par repas), des fringues, du tabac (deux paquets de clopes au quotidien), prix de l’herbe pour tes joints, de ton essence (pour la voiture qu’elle a payée, tu te souviens c’était nécessaire pour aller travailler), des assurances, eau, gaz, électricité (ta zizique), de tes CD (indispensables à ton équilibre d’homme libre), de tes vacances (l’homme libre a besoin d’horizons nouveaux), du ciné (l’homme libre a besoin d’alimenter son esprit pour nourrir la controverse), de l’alcool (peut-être pour que l’homme libre oublie qu’il n’est qu’un esclavagiste ?), et j’en passe…
Alors, ma belle écoute ce conseil : Ou tu l’uses comme tu l’as, ou t’en changes mais au nom de tous nos combats féministes, au nom des droits de l’homme et de la dignité humaine réfléchis et fait donc un lâcher de coccinelles dans le salon, sois tranquille tu en seras débarrassée. Ces jolies bestioles bouffent les larves !
Ah, tu ne peux pas. Les jours heureux, ces trois ans de bonheur… tout cela a raison de ta dignité, de ton sens du bonheur, tu l’aimes et bien sûr lorsque tu mets en balance le positif et le négatif, c’est forcément le premier qui l’emporte. Petit passage à vide que tu crois passager. Alors tu vas subir, subir et subir encore.
Mais qu’elle m’énerve !…